Je dis de toi et de la rose
Mes poèmes sont évidents
Je dis toujours la même chose
La vie l’amour la mort le temps
Prenant les phrases toutes faites
les vérités de tous les jours
je ne suis ni ange ni bête
mais je me répète toujours
Je dis de toi et du bonheur
et la chaleur d’être avec toi
Je dis de toi et du malheur
le tourment de n’être que moi
Je dis ce que chacun devine
l’a b c de la clef des chants
Le fil sans fin que j’embobine
n’est qu’un gros fil cousu de blanc
Je me répète et recommence
Je ne dis que ce que je sais
mon souci mon insouciance
mon embarras C’est bien assez
Je me reprends sans fin ni cesse
Est-ce vraiment vraiment le même
qui dans sa fausse vraie paresse
n’est que l’absence de soi-même
Toujours distrait si je médite
toujours ailleurs si je suis là
qui donc en moi veille et persiste
à être moi si malgré moi
Un jour vient où la persistance
que j’avais cru perdre à tous vents
devient le fil de la constance
signant la trace d’un vivant
Ce n’est peut-être que ma mort
qui saura bien photographier
fini le jeu de j’entre-et-sors
cet inconnu qui m’échappait
Il dit toujours la même chose
il redécouvre à chaque instant
la même évidence morose
la même joie qui n’a qu’un temps
Mais un seul fruit songe et s’accroît
dans la fleur en métamorphose
se répétant moins qu’on ne croit
disant toujours la même chose.
extrait du recueil Poésies, Gallimard, 1970.